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La raffinerie de Leuna, près de Leipzig, dans le land de
Saxe-Anhalt.
Le juge Renaud Van Ruymbeke est têtu. Il le répète volontiers aux avocats de
l'affaire Elf: il fera tout pour connaître, d'ici à la fin de l'année, les
dessous de la reconstruction, en 1992, de la raffinerie de Leuna, dans
l'ex-Allemagne de l'Est, et pour découvrir ceux qui, à cette occasion, ont perçu
de substantiels pots-de-vin. Elf y investit, à l'époque, 20 milliards de francs.
Le magistrat ne désespère pas d'entendre prochainement un ancien membre des
services secrets allemands, Hans-Dieter Holzer, proche de Helmut Kohl, soupçonné
d'avoir touché 256 millions de francs. Holzer serait prêt à répondre aux
questions de Van Ruymbeke, à condition de pouvoir repartir libre outre-Rhin. Le
magistrat ne serait pas hostile à la requête de l'ex-espion, bien que ce dernier
fasse l'objet d'un mandat d'arrêt international...
«On ne peut exclure que des
pots-de-vin aient été
présentés comme des coûts d'investissement subventionnés par des aides
publiques»
Echange de bons procédés: un autre personnage clef de ce dossier, l'ex-n° 2
d'Elf, Alfred Sirven, se montrerait lui aussi coopératif, puisqu'il accepterait
de répondre aux questions de la commission d'enquête parlementaire allemande sur
le financement de la CDU, disposée, dit-on, à recueillir ses confidences... à la
prison de la Santé, où il est actuellement détenu.
En attendant, le juge
français vient de recevoir un document des services secrets allemands, que
L'Express a lu et qui évalue à 900 millions de Deutsche Mark (3 milliards de
francs environ) le montant des surfacturations effectuées lors de la
reconstruction de la raffinerie Leuna. Surfacturations qui ont conduit l'Etat
allemand, via deux avocats français, Me Olivier Baratelli et Paul Lombard, à se
constituer partie civile en France (voir L'Express du 22 mars 2001). Cette
initiative facilite la tâche de Van Ruymbeke, qui a accès aux quatre procédures
judiciaires ouvertes en Allemagne sur l'affaire Elf: à Sarrebruck, Augsbourg,
Düsseldorf et Magdebourg.
C'est au printemps 2001 que l'Etat allemand a
porté plainte en France, de nombreux surcoûts ayant été révélés. L'enquête du
parquet de Magdebourg, sous la direction du procureur général Jaspers, confirme
l'existence de surfacturations inexpliquées. Ainsi, le coût de construction des
réservoirs de Leuna, évalué initialement à 318 millions de Deutsche Mark (1
milliard de francs environ), a quasi triplé, pour passer à 885 millions de
Deutsche Mark! Et le rapport de faire remarquer qu'un réservoir aussi moderne
que celui de Leuna, construit par Shell-Esso près de Dresde, n'a coûté que 296
millions de Deutsche Mark.
Le document note également que le coût d'un
ingénieur chez Elf s'élève à 2 776 marks par jour (9 000 francs environ)...
contre 1 335 DM pour un ingénieur au profil identique aux Pays-Bas et 1 228 DM
pour un autre employé par la firme Krupp. Enfin, que dire du salaire horaire
moyen, qui atteint 85 marks à Leuna, alors que le montant normal devrait être
d'environ 60 marks?
Autant d'anomalies incroyables qui font écrire aux
auteurs du document: «On ne peut exclure que des pots-de-vin aient été présentés
comme des coûts d'investissement subventionnés par des aides
publiques.»