EXCLUSIF. Alain Gomez, ancien PDG de Thomson,
est accusé par la secrétaire de l'avocat William Lee, en prison dans l'affaire
de déstabilisation de Matra, de lui avoir jeté lui-même un sac contenant 1,5
millions de francs dans un escalator du RER parisien.
Alain Gomez (Sipa-Press)
Il m'a jeté un sac par dessus
la rambarde de l'escalator", a déclaré la secrétaire devant les juges : alors
qu’Alain Gomez, l’ancien président de Thomson (devenu Thalès) est apparu protégé
dans les différents volets de l’affaire Elf, comme dans celle dite des frégates
de Taiwan où son rôle était central, celui-ci semble en revanche en grandes
difficultés dans le cadre d’une affaire qui lui a valu d’être mis en examen, le
12 juin 2001, pour "tentative d’extorsion de fonds". Il s’agit de l’opération de
déstabilisation de Matra, dont le nom de code était "couper les ailes aux
oiseaux". Une opération lancée en 1993 à l’initiative de Thomson et pilotée par
William Lee, un avocat d’affaires de nationalité américaine, ayant travaillé
pour le département d’Etat puis pour l’agence de renseignement Kroll Associates.
Celui-ci faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international lorsqu’il a été
arrêté à l’aéroport de Vienne à la mi-octobre. Il est aujourd’hui incarcéré à la
prison de la Santé.
Un systéme de fausses facturations
La
secrétaire de William Lee, Margaret Bertay, avait été entendue le 21 juin 2001.
Elle avait alors révélé les détails de l’opération en décrivant tout un système
de fausses facturations. Elle avait reconnu avoir créé des faux documents pour
nourrir les procédures judiciaires et commerciales lancées par des actionnaires
minoritaires contre Matra, de 1993 à 1996. Entendue à nouveau à partir du 30
octobre par les juges Ripol et Malignier-Peyron, la secrétaire de William Lee a
été beaucoup plus loin: elle l'accuse notamment d’avoir reçu de l’argent
liquide, jusqu’en 1998, de la main même d’Alain Gomez, pour le compte de son
patron. Le récit est digne des meilleurs romans d’espionnage. Selon ses
déclarations, Lee lui dit d’aller dans un grand hôtel parisien, habillée d’une
certaine manière avec le Financial Times sous le bras. Elle voit
débarquer Alain Gomez qui lui donne une phrase codée, à laquelle elle répond,
par une autre phase codée. Gomez (qui n’est plus patron de Thomson depuis trois
ans) lui donne rendez-vous en haut des escalators de la station RER du musée
d’Orsay. Il lui demande d’attendre une minute puis de descendre. Lui remonte,
ils se croisent et il lui lance un sac qu’elle rapporte chez elle et qu’elle
montre à son mari. Il contenait, toujours selon ses déclarations, 1,5 millions
de francs en petites coupures.
Dans un hôtel de
Genève
Margaret Bertay, sur instruction de William Lee, a déposé,
50.000 par 50.000 francs (le plafond alors autorisé) l’argent sur un compte
personnel de William Lee à la BNP, de mars à juin 1998. Elle a gardé tout les
bulletins de versement qu’elle a remis aux juges. A quoi correspondait ce
versement – s’il a bien eu lieu – alors que l’opération « couper les ailes aux
oiseaux » était terminée et que Lee et Gomez, officiellement, n’avaient aucun
contact ? On ne le sait pas encore. Néanmoins, un autre versement a eu lieu,
dont la date correspond aux débuts de l’opération dont il constitue, selon les
juges la première étape. Le 4 juin 1993, Lee demande à sa secrétaire d’aller à
Genève. Déjà avec le Financial Times sous le bras, elle rencontre dans un
hôtel un homme qui lui remet 400.000 dollars pour Lee. Sur ses instructions,
elle va les confier à une banque genevoise qui refuse les fonds. Désemparée,
elle appellera William Lee qui lui demandera de rapporter l’argent. Margaret
Bertay continue d’être interrogée par les deux juges, qui avaient du interrompre
longtemps leur instruction en raison d’une demande de récusation déposée par
William Lee, dont la chambre de l’instruction a fait litière. Ils semblent
décidées à accélérer le rythme, depuis l’incarcération de Lee. La secrétaire de
ce dernier affirme « avoir peur pour elle et pour sa famille ». Elle a raconté
comment Lee et Gomez se rencontraient en secret dans les parkings, comment Lee
parlait de Gomez : « ils se la jouaient comme des espions » a-t-elle déclaré.
07/11/2002 PARIS Intelligence on Line Re-couper les ailes de
l'oiseau ?
L'étonnante affaire de déstabilisation
industrielle "Couper les ailes de l'oiseau", de Thomson contre Lagardère, va
rebondir après l'arrestation de l'avocat William Lee.
Un grand moment attendu prochainement dans les bureaux du pôle
financier du parquet de Paris : la confrontation entre Alain Gomez, ex-président
de Thomson CSF (devenu Thales) jusqu'en 1995, et l'avocat d'affaires William
Lee. Les deux hommes sont mis en examen et placés sous contrôle judiciaire
depuis le 13 juin 2001, pour avoir orchestré une manipulation contre Lagardère
SA, la holding du groupe Matra (devenu une branche d'EADS). Mais l'avocat
d'origine américaine s'était depuis absenté du territoire français? Il a été
interpellé en Autriche le 14 septembre dernier, après la diffusion d'un mandat
d'arrêt par Interpol, avant d'être écroué à Paris le 15 octobre.
Les deux magistrats qui instruisent le dossier, Marie-Pierre
Maligner-Peyron et Guy Ripoll, veulent présenter aux deux hommes les dizaines de
kilos de documents qui les compromettent dans le dossier Couper les ailes de
l'oiseau. C'est le nom qu'ils avaient choisi pour leur opération de
déstabilisation de Matra par un groupe de petits actionnaires, entre 1991 et
1995.
D'autres confrontations de William Lee sont attendues : avec des
ténors du barreau parisien tels Vincent Denis et Dominique Falque, avec l'ancien
conseiller juridique de Thomson Olivier Lambert, à moins que ce
ne soit avec Jean-Manuel Mounz, la "taupe" de Lee au sein des
réseaux Lagardère.
En dépit de ces rebondissements, la date d'ouverture du procès
demeure incertaine.
Pour boucler leur dossier, les juges ont besoin des réponses à
deux commissions rogatoires internationales, adressées à la Suisse et aux
Etats-Unis? en mai et juillet
2001.