Le groupe d'armement visé dans le Figaro du 29 Nov 2002


E.D.
[29 novembre 2002]

Les procédures judiciaires semblent se multiplier contre le groupe Thomson, aujourd'hui dénommé Thales. Avec l'ouverture d'une enquête au tribunal de Créteil, il s'agit de la troisième information mettant directement en cause la société d'armement. Voici les deux autres dossiers sensibles dont la justice est saisie.

 

Des salariés du groupe - rebaptisé Thales - en poste à l'étranger auraient vu leur rémunération systématiquement minorée
La justice se penche sur les fiches de paie de Thomson


Eric Decouty
[29 novembre 2002]

Dans la plus grande discrétion, une information judiciaire a été ouverte il y a quelques semaines, au tribunal de grande instance de Créteil, pour «abus de confiance et escroquerie», visant la société Thomson rebaptisée Thales. Le dossier a été confié au juge Nicole Baratin en même temps qu'a été saisie la direction nationale des enquêtes fiscales.

L'affaire porte sur d'éventuels détournements de rémunération des salariés dits de «l'étranger», personnels détachés par la société d'armement pour des périodes plus ou moins longues dans les pays avec qui elle a passé un accord commercial. Selon Thales, le nombre de ses salariés – fluctuant en fonction des périodes et des contrats – est évalué à plusieurs milliers. Quant aux détournements présumés, que le juge Baratin devra déterminer avec précision, il est à ce jour estimé à quelques centaines de millions de francs sur les quinze dernières années.

A l'origine de cette procédure judiciaire se trouve une plainte déposée en avril dernier par un agent électronicien de Thomson estimant avoir été spolié par son employeur. Les faits peuvent se résumer ainsi : selon les contrats en vigueur, «les salariés de l'étranger» (statut particulier distinct de celui expatriés) perçoivent leur salaire augmenté d'une prime d'expatriation de 5% du salaire et d'une prime particulière de 8%. Or, sur les fiches de paie dont Le Figaro a eu connaissance, ces primes ne figuraient pas, le salaire perçu à l'étranger étant au bout du compte inférieur à celui touché en France. De surcroît, Thomson déclarait à l'administration fiscale une somme largement supérieure au salaire réellement perçu.

Exemple : en mars 1997, l'employé devait déclarer un revenu net de 16 164 francs mensuels alors qu'il n'était payé que 10 081 francs. Autre curiosité de la fiche de paie : l'absence de la CSG et un retrait de 6 000 francs correspondant à une énigmatique «variation nette France». A quoi correspond cette terminologie ? La société Thales n'a pas souhaité nous fournir d'explication. Quant à l'inspection du travail que nous avons sollicitée, elle a expliqué «ne pas connaître cette expression et ne pas comprendre à quoi cela peut correspondre».

Toujours est-il qu'au bout du compte les «salariés de l'étranger» de Thomson auraient non seulement reçu un salaire moindre que celui prévu par contrat, mais auraient en plus payé des impôts sur des revenus non perçus. «Je constate que, sur une période allant de 1994 à 2000, il y a eu une soustraction de fonds d'environ 100 000 francs par an. Et il est clair que cette somme a été soustraite volontairement et frauduleusement», résume Me Claude de Boosere, l'avocat du salarié à l'origine de la plainte.

Selon nos informations, ce système aurait été mis en place dans les années 1987-1988 et perdurerait encore aujourd'hui pour l'ensemble des «salariés de l'étranger». Interrogé à plusieurs reprises sur la légalité de celui-ci, le comité d'éthique de Thales a systématique balayé toute récrimination affirmant sans plus d'explication que les fiches de paie ne faisaient «apparaître aucune irrégularité». Jointe par Le Figaro ces derniers jours, la société d'armement a reconnu avoir eu «connaissance de l'ouverture d'une enquête judiciaire» mais n'a souhaité faire «aucun commentaire sur le fond du dossier». Les investigations, désormais en cours, vont donc d'abord s'attacher à vérifier la légalité du système de paiement de certains salariés de Thomson. Les services fiscaux devront eux aussi enquêter sur une fraude présumée. «Mais ce sont surtout la réalité et l'ampleur d'éventuels détournements de fonds qu'il faut mesurer», commente une source proche du dossier. Au palais de justice de Créteil, l'affaire est depuis quelques semaines suivie avec la plus grande attention.